jeudi 23 septembre 2021

Le jasmin n'est pas une fleur

 

Mais, attention : qui dit jasmin ne dit pas toujours fleur. « Il y a environ cent composants dans le jasmin, comme l’acétate de benzyle, l’indole et l’hédione, trois molécules synthétiques très utilisées par les parfumeurs », explique Francis Kurkdjian. « La quasi-totalité des parfums aujourd’hui a une facette jasminée, car l’hédione est présente dans toutes les compositions », estime Sylvain Eyraud. À 70 000 euros le kilo pour la variété grandiflorum et 4 000 euros pour le kilo de sambac, dont les récoltes sont faites à la main, atelier de parfum Eze le jasmin est l’une des matières premières les plus chères de la palette : il faut 700 kilos de jasmin de Grasse pour obtenir 1 kilo d’absolue (concentré obtenu après la transformation des pétales). Cette contrainte de prix explique pourquoi plusieurs parfumeurs font appel aux versions synthétiques. Un parfum jasmin sans jasmin ? Tel était le pari de Jean-Claude Ellena avec Jasmin de Pays de Perris Monte Carlo (8). Le nez a reconstitué le jasmin grandiflorum sans employer une seule goutte d’absolue. Sorti en 2019, le jus mérite une place parmi les classiques jasminés, aux côtés de Samsara de Guerlain, dont l’exotisme repose sur la rencontre du jasmin avec une surdose de santal ; de J’Adore de Dior (9), premier grand parfum à utiliser le jasmin sambac en quantité ; d’Alien de Mugler, dont le bouquet de fleur d’oranger, de jasmin et d’héliotrope s’entremêle avec un trio d’épices ; de Jasmin Noir de Bulgari (11), où la fleur se présente crémeuse, presque gourmande ; de Jasmin Rouge de Tom Ford (13), qui pousse sa vocation orientale et opulente ; de Cèdre Sambac d’Hermès (14), symbiose entre un jasmin brut et le bois de cèdre ; et d’À la Nuit de Serge Lutens (10), dont le mélange de jasmins recrée l’odeur envoûtante du moment où les fleurs s’ouvrent et libèrent leur parfum. Parmi les derniers lancements, on le retrouve cristallin, presque aquatique, dans Ocean di Gioia de Giorgio Armani (5), acide et fruité dans Coach Dreams (1), en toile de fond pour laisser rayonner une rose complice dans la déclinaison Bloom of Rose de Mon Guerlain (6), version cocooning dans Bubble Bath de Maison Margiela (7), où il est sublimé par la noix de coco, et presque imperceptible, juste assez pour apporter un peu de lumière au musc ambrette, dans Parisian Musc de Matière Première (4).

Brume antistress
Si son empreinte sensuelle et son pouvoir aphrodisiaque ont toujours été reconnus – selon la légende, Cléopâtre, arrivant par la mer, parfumait les voiles de ses bateaux de jasmin pour rendre fou Marc Antoine avant même qu’il ne l’ait vue –, une étude menée par des chercheurs allemands de l’université de la Ruhr à Bochum révèle une autre facette du jasmin : son pouvoir calmant. Il serait, selon cette étude publiée dans le « Journal of Biological Chemistry », « aussi efficace quele Valium » pour calmer le stress et l’anxiété. Inhaler son parfum permettrait de multiplier par plus de cinq les effets du GABA, neurotransmetteur qui régule l’activité du système nerveux central – et ce, sans effets secondaires. Des chercheurs de la Wheeling Jesuit University ont découvert que vaporiser du jasmin dans une pièce « conduisait à une plus grande efficacité du sommeil ». L’ayurveda reconnaît ses vertus calmantes, et utilise aussi le jasmin pour ses propriétés sédatives mais aussi pour soulager les maux de tête. « La parfumerie et l’aromathérapie sont deux métiers distincts. Comme un joaillier qui travaille la pierre pour l’embellir sans se pencher sur ses propriétés, le parfumeur sublime la matière sans pour autant s’intéresser aux effets des ingrédients. Mais peut-être que la crise déclenchée par le Covid-19 changera le paradigme et qu’à l’avenir on travaillera davantage la dimension bien-être dans le parfum ? » s’interroge Francis Kurkdjian.