mercredi 3 juin 2015

Toujours plus de réfugiés

Les migrations sont surtout douloureuses pour ceux qui doivent partir et tout risquer, y compris leur vie, pour espérer croire que l'herbe est plus verte ailleurs. La France a délivré 208 000 titres de séjour aux immigrés en 2014 et elle fait vivre 60 000 demandeurs d’asile ! Si elle avait des emplois à offrir, cela se saurait… Les émeutes de Baltimore, dans le Maryland, ne sont pas que des images de télévision. Des éruptions de violence auxquelles nous habituerait l’Amérique. Ce sont des signaux d’alerte, quand des quartiers prennent feu. On aurait tort de croire que tout cela est lointain et n’arrive qu’aux autres. Il y a dix ans, en novembre 2005, c’était chez nous, et ça peut se reproduire. Après tout, le premier ministre était bien à Marseille, le 9 février, quand des bandes rivales se tiraient dessus au fusil d’assaut. Sur nos écrans, les images de Baltimore ont pris la suite de celles des sauvetages de migrants, débarqués de leurs canots sur les côtes italiennes, pendant que les représentants des Vingt-Huit de l’Union européenne observaient une minute de silence pour les disparus en mer. Ce rapprochement entre des drames si éloignés et apparemment sans rapport pourrait être saisissant. Le soir de ce dimanche 26 avril, sur Europe 1, Gilles Kepel, l’auteur de Banlieue de la République (Gallimard), familier de l’Orient chaotique, interrogé sur le point de savoir ce que pouvaient être les intentions de l’État islamique et de ses filiales, répondit : « Ce qu’ils veulent, c’est la guerre civile. » Pas seulement chez eux, chez nous. Une dépêche de l’AFP datée du 19 février dernier prévenait : « Dae’ch menace d’envoyer 500 000 migrants vers l’Europe. » Le 13 mars, le directeur exécutif de l’agence Frontex, chargée du contrôle des frontières extérieures de l’Europe, le Français Fabrice Leggeri, précédemment spécialisé dans l’immigration illégale au ministère de l’Intérieur, ne parlait plus d’une menace mais d’une perspective : « Entre 500 000 et 1 million de migrants attendent sur les côtes libyennes de pouvoir traverser la Méditerranée. » Ainsi alertés, que font les Européens réunis en sommet d’urgence à cause de l’émotion suscitée par les naufragés de la mer ? Ils n’ont ni politique de l’immigration, ni politique des frontières, ni politique de sûreté collective. Et ils ne sont pas près d’en avoir quand on lit les déclarations du ministre grec de la Défense, Panos Kamménos (un “souverainiste” salué par les “souverainistes français”) dans un quotidien italien : « Si l’Europe nous lâche en pleine crise, on l’inondera de migrants, on leur distribuera des papiers valides qui leur permettront de circuler dans l’espace Schengen… » L’élégance et la hauteur de vue de ce genre de propos permettent de comprendre la facilité avec laquelle les passeurs envoient leurs cargos rouillés chargés de miséreux dans les eaux grecques. Ils viennent des côtes libyennes. Mais pas seulement : l’agence Frontex signale que les plus gros contingents sont syriens, kosovars, afghans. François Hollande en a profité pour dire que le chaos libyen, “c’était pas moi”. Mais, sous-entendu, Sarkozy. Et Cameron ? Pourquoi donc Français et Britanniques (et les Américains au début) sont-ils intervenus, en 2011, avec leurs avions, soutenus par leurs Parlements respectifs (les socialistes avaient voté pour), afin d’abattre Kadhafi ? Parce qu’il fallait prévenir la guerre civile qui menaçait, en plein printemps arabe — et que, derrière celle-ci, nous l’avions dit ici même, se profilait le danger bien réel de voir 1 million de réfugiés se presser pour traverser la Méditerranée.